Le Maître et Marguerite

© Pascal Gely

Texte de Mikhaïl Boulgakov – Adaptation et mise en scène Igor Mendjisky – Compagnie Les Sans Cou, FAB – Au Théâtre de la Tempête.

Le Maître et Marguerite est une œuvre majeure de la littérature russe du XXème siècle, écrite entre 1927 et 1939. Né en 1891 à Kiev, médecin avant d’être écrivain, Mikhaïl Boulgakov se consacre au journalisme et à la littérature à partir de 1920. Il écrit pour le théâtre et l’opéra mais il est surtout connu pour ses romans et tout au long de sa carrière, doit faire face à la censure soviétique. Il rédige plusieurs versions du Maître et Marguerite dont la dernière est finalisée par sa femme, après sa mort, en 1940. La première publication du roman en Union Soviétique, en 1967, fut censurée et de ce fait, altérée et donna lieu à des versions samizdat donc clandestines. C’est en 1973, trente-trois ans après sa mort que le roman fut publié dans son intégralité.

À la fois critique politique et sociale, conte fantastique et magie des légendes, histoire d’amour, Le Maître et Marguerite est un roman métaphorique où se croisent plusieurs intrigues et plusieurs styles. Le spectacle débute dans l’asile psychiatrique où est interné le jeune poète Ivan. Surgit de la salle un gentleman distingué au costume prince de Galles, cravate et gilet rayés, Woland, qui fait office de mystérieux magicien. Il est entouré d’un cercle rapproché, en l’occurrence d’un chat noir en la personne de Behemoth, du tueur Azazello et d’une infirmière extravertie, Hella. Une discussion sur l’existence de Dieu s’engage, entre Berlioz, directeur littéraire des milieux officiels et athée, et Woland. Le second prédit alors au premier qu’il ne se rendrait pas à la réunion du Massolit où il est attendu – l’organisation littéraire et QG de la Nomenklatura – et qu’il mourrait décapité. La prédiction se réalise sitôt après : Berlioz passe sous un tramway et meurt. Témoin, le jeune poète Ivan Biezdomny – dont le nom signifie sans-logis – tente vainement de poursuivre Woland et d’avertir les autorités de la nature diabolique du trio, mais personne ne le croit, et on le jette dans un asile de fous. Apparaît le personnage du Maître, désespéré par son roman refusé sur le Christ et Ponce Pilate, dont il vient de jeter au feu le manuscrit avant de se détourner du monde et de son amour pour Marguerite. Le poète est interné dans le même hôpital qu’Ivan, lieu emblématique où se croisent les victimes des actions sataniques commanditées par Woland.

La seconde intrigue place l’action à Jérusalem, sous Ponce Pilate. Woland récite à Berlioz les pages du roman écrit par Le Maître, métaphore de la trahison du Christ et de sa mise à mort, qui met en scène la rencontre entre le procureur Ponce Pilate et le personnage de Yeshua, qu’il admire. Dans la troisième intrigue, Marguerite devient la protagoniste. Invitée par Woland/Satan au bal de minuit – qui coïncide avec le vendredi saint – elle accepte, le temps du bal, la proposition qui lui est faite d’être l’hôtesse de la soirée et de le servir, se transformant en sorcière aux pouvoirs surnaturels, un court laps de temps. Marguerite pénètre dans le monde de la nuit et devient l’instrument des basses besognes mandatées par Satan. Elle y excelle tant, qu’il lui est demandé de formuler un vœu, lui jurant qu’il serait exaucé. Elle désire ardemment retrouver le Maître, son amour. Sorti de l’asile, elle le retrouve, mais tous deux sont empoisonnés par Azazello qui les met aux ordres de Woland/Satan. Ils quittent Moscou sous le soleil couchant d’un dimanche de Pâques. On replonge dans l’histoire christique où Ponce Pilate attendait depuis deux mille ans de rejoindre Yeshoua. Les fils des différentes intrigues se rejoignent à la fin, et les personnages initiaux croisent le Procureur et les personnages du bal.

Les thèmes traités par Goethe, se rejouent avec Boulgakov, et notamment le mythe de Faust, le bien et le mal, la trahison et la lâcheté, la rédemption, même si l’histoire se joue à l’envers de la version canonique. Ponce Pilate en effet se découvre des affinités avec le Christ et même un besoin spirituel de lui, tout en le livrant à ceux qui vont l’exécuter. L’histoire du Christ est à rapprocher du contexte bien particulier de l’URSS des années 1930. Le rôle de Satan/Woland, dans un tel contexte, traduit l’irrationnel, la créativité et la fantaisie, s’opposant au totalitarisme stalinien –  Woland
: Vous étiez en train de dire que Jésus n’a jamais existé ? – Berlioz : Oui, nous sommes athées, mais chez nous ce n’est point un péché – Woland : Mais si Dieu n’existe pas qui dirige l’ordre du monde ? – Berlioz : L’homme lui-même – Woland
: Comment pouvez-vous diriger quoi que ce soit, vous ne savez même pas ce que vous ferez ce soir.

Le Maître et Marguerite est un roman énigmatique semé d’embûches. En 1971, Andrzej Wajda, réalisateur polonais, avait tourné Pilatus und Andere pour la chaîne de télévision allemande ZDF, basé sur la partie publique du roman. De nombreuses adaptations théâtrales ont été réalisées dans le monde. En 2012, une adaptation du metteur en scène britannique Simon McBurney fut présentée en ouverture du Festival d‘Avignon, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes.

Igor Mendjisky, metteur en scène, mène ici le spectateur du rêve au cauchemar à travers plusieurs langues : le français, le russe et l’araméen, parlé par le Christ. Il le conduit dans plusieurs villes et pays – de Jérusalem à Moscou, dans plusieurs styles – de l’allégorie au sarcasme. Il avait obtenu en 2009 le Grand Prix du festival d’Angers avec Hamlet, présenté Notre crâne comme accessoire librement inspiré du Théâtre ambulant Chopalovitch de Lioubomir Simovitch en 2016 et fut artiste associé au théâtre du Nord, Centre dramatique national de Lille, de 2014 à 2017.  La figure du Maître fait référence à la liberté d’expression et au destin du manuscrit de Boulgakov, et Ivan, rôle tenu par le metteur en scène, fait un voyage initiatique qui ouvre sur la critique du système soviétique. Tous les acteurs servent le propos, dans sa diversité, formant comme un chœur où chacun joue sa partition. Pari réussi et trouble garanti.

Brigitte Rémer, le 25 mai 2018

Avec Marc Arnaud Le Maître – Romain Cottard Woland, Afrani, Docteur Stravinski – Adrien Gamba Gontard Pilate, Trépan, Berlioz – Igor Mendjisky Ivan, Rimsky– Pauline Murris Hella, une infirmière, Frieda – Alexandre Soulié Behemoth, Le bourreau, Pagoda – Esther Van den Driessche Marguerite– Yuriy Zavalnyouk Azzazelo et Yeshua. Scénographie Claire Massard et Igor Mendjisky – lumières Stéphane Deschamps – son et vidéo Yannick Donet – costumes May Katrem et Sandrine Gimenez – construction décor Jean-Luc Malavasi – assistant à la mise en scène Arthur Guillot. Le texte est publié à L’avant-scène théâtre.

Du 10 mai au 10 juin 2018, mardi au samedi 20h dimanche 16h, au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, rue du Champ de Manœuvre, 75012 – métro : Château de Vincennes, puis bus 112 ou navette – tél. : 01 43 28 36 36 – site : www.la-tempete.fr – Route du Champ-de-Manœuvre